Des Prouvost sous l’Ancien Régime, on peut déduire la qualité de la vie en société par quelques témoignages, et la lecture, dans cet ouvrage, de leur charges, fonctions, domaines et demeures.
Notons, en la fin de l’Ancien Régime les
exemples de
habitait rue Saint
Georges à Roubaix, « une maison qu’il avait acheté avec cinq autres pour la sommes de 530 florins, 13 patars et 5
deniers aux héritiers d’Albert et Joseph Lecomte.
La maison avait un magnifique jardin dont les murs
étaient couverts de vignes de raisins bleus et blancs. En été les fleurs
donnaient un air enchanteur à la propriété, plantée d’arbres à fusées, dont on
cueillait les fruits en juillet ; on y trouvait aussi des beurrés, des
callebasses, l’amande de Suède. Il y avait deux grandes pelouses qui furent la
cause d’un procès entre Constantin Prouvost et son voisin, Pierre Rouzé qui
avait la prétention d’y curer son linge. Constantin Prouvost ne dédaignait pas
les plaisirs de la table.
Les faïences de porcelaine de Tournai et de Lille
étaient, à cette époque, d’un usage courant. Il y avait chez lui, de belles
pièces d’argenterie portant la marque des Fermiers Généraux de Lille :
l’alouette volante : parmi ces pièces, on admirait une grande cafetière Louis
XV et un important service à liqueur Louis XVI composé de quatre carafons
garnis de rinceaux et roses et, au centre, une pyramide surmontée d’une grosse
boule d’argent qui représentait, sans doute, une montgolfière, très à la mode,
même dans le ?, à la suite des ballons inventés en juillet 1783. »
Ce journal, Pierre-Joseph Prouvost le tenait sur un
ordo de Tournai, diocèse auquel appartenait Roubaix.
Ce Pierre Prouvost, né en 1725, à Roubaix, avait
épousé Marie-Catherine de Ramery, de Mons, en Belgique. Il habitait rue du
Fontenoy. Il était l’un des cinquante maîtres de manufacture de tissus. Il
était imposé à 12 livres.
Le document qu’il nous a laissé est bien curieux.
Le 2 novembre 1771, écrit il, nous avons mis en
bouteilles une pièce de champagne rouge venant de Monsieur Roussel, de
Tourcoing. Nous avons payé 221 florins 15.
Il y avait en cave : Bourgogne, vieux Frontignan, vin
de Rilly, une pièce de champagne à 22 de gros la pièce, une pièce de Macon à 14
de gros.
(…) : Pierre Prouvost reçoit le 20 janvier, la famille
: l’abbé Prouvost Philippe Constantin, son père Pierre Constantin, son oncle,
sa sœur Béatrice Prouvost, qui fut prieure de l’Hôpital sous la
Révolution, sa mère Agnès Florin et
d’autres.
(…) : Le 1°
septembre, table ouverte pendant trois jours pour fêter la dédicace ducate de
Roubaix : grande réunion des familles de Fontenoy, Desmazières, Charvet,
Lenôtre, Deldique, Deffrennes, Delannoy.
En cette circonstance, on a bu 27 bouteilles de Mâcon et 25 flacons de
champagne.
L’année terminée, on fait l’inventaire de la cave :
Pierre Prouvost constate qu’on a consommé pour l’année 1771-72, en liqueurs,
Macon, Rilly, Bourgogne et Champagne, 187 flacons et 175 bouteilles » .
Extraits
d’un article par Ernest Prouvost, le peintre
qui oeuvra pour l’Exposition Internationale de 1911 avec
Amédée Prouvost, fils de Liévin, auteur de
la branche puinée.
Catherine Françoise Prouvost et l’épopée de la Manufactures Royales de Lille:
fille de Pierre Joseph Prouvost et
Marie Ramery dit de Boulogne, elle épousa, le 30 avril 1782, François
Joseph DUROT 1747-1815, fils d’Arnould-François DUROT, bourgeois de
Lille, remarquable exemple de parcours proto-industriel : sa vie
intense a été racontée par Alexis Cordonnier dans son article : « Une
industrie d’art au siècle des lumières. Son train de vie fut remarqué ; on
raconte même l’anecdote qu’il était un des premier à avoir une baignoire chez
lui. Il installa la manufacture-château familiale au château de
Beaupré, à Haubourdin, propriété du comte de Roncq
Au XVIII° et sous l’Empire, Aimée-Joseph PROUVOST, épouse de Louis-Urbain
VIRNOT de LAMISSART, vivaient dans le vaste
hôtel Virnot de
Lamissart, 52, façade de
l’Esplanade (angle rue de Jemmapes) Lille
et possédaient le superbe
hôtel de Lamissart au 144, rue Royale à Lille ; les
Virnot recevaient dans
l’hôtel Virnot de la place Saint Martin ou de la rue de
Tournai de Lille et
offraient des spectacles d’opéra ou de théâte
à la famille et à la société de
Lille : « une vaste salle servait de théâtre de société et de bal ;
Louis Lenglart, élève de Watteau de Lille y brossait des décors; la jeune et
élégante Catherine Sophie de Lamissart y était une prima donna délicieuse et on
se rappella longtemps une représentation de
Hôtel Virnot de
Lamissart-Prouvost, 52, façade de
l’Esplanade (angle rue de Jemmapes) Lille
Hôtel de
Lamissart (Prouvost), 144, rue Royale
à Lille


Chez les Georges Prouvost, on sut garder la tradition des spectacles de société ;



Les repas de famille à Roubaix: " Une trentaine de personnes autour d'une table à allonges, à la
nappe blanehe damassée, couverte de corbeilles de fruits, de gateaux, de
bonbons, trois plats au moins de mets recherchés dont on reprend car on les
repasse, fromages, entremets ou petits gateaux de chez trofas, fruits gateaux,
café, liqueurs.
Pendant ces repas, on commente les nouvelles, les faits divers,
la politique surtout. On se scandalise de l’attitude du gouvernement qui
ordonne les inventaires des biens d’église, de celle de l’abbé Lemire qui a
posé à hazebroucq sa candidature à la députation et qui est élu, tante maria,
un certain dimanche, nous fait part d’une invention appelée à révolutionner la
vie : celle d’une machine composée d’un acdre, de deux roues, d’un guidon,
d’une selle. On se tient dessus en équilibre, et, avec les pieds, on fait
marcher les deux pédales. Les hommes l’enfourchent comme un cheval, font de la
vitesse, et les femmes aussi, figurez vous. Naturellement, pour être décentes
en y montant, elles portent des culottes bouffantes. Elles ne mettent pas de
jupes, mais montrent leur molet (...)
Après le repas, les dames passent au salon se chauffer auprès
d’un bon et beau feu l’hiver ou bien elles vont arpenter le jardin en long et
en large l’été. Les messieurs jouent aux cartes et fumenty dans le bureau où
l’athmosphère chargée de fumée devient très vite irrespirable. Les jeunes d’âge
scolaire, eux, sont partis au collège, à trois heures pour assister aux vèpres.
Ces réunions groupent tantôt le coté Watine, tantôt le coté Prouvost.
« Parfois,
je restais loger à Roubaix et j’assistais alors à la prière du soir récitée en
commun. Elle réunissait parents, enfants, domestiques, dans une petite pièce du
premier étage appelé « l’Oratoire ». Des prie-Dieu, des chaises
étaient assemblées devant la cheminée de marbre transformée en autel, avecun
Christ, des statues, des cierges, des fleurs. Bon papa, chef de famille,
récitait les prières, nous y réppondions tous, on y ajoutait les invocations à
saint Joseph en mars, à la sainte Vieige marie en mai, pour le mois de Marie,
au sacré Cœur en juin.» Marie Paule Fauchille-Barrois, Vos aïeux que j’ai connus.

Leur fille, Madame Charles Flipo-Prouvost laissa son journal de comptes d’une écriture soignée sur un simple cahier d’écolier à la couverture de molesquine noire ; ils habitaient un hôtel particulier, rue de Tournai à Tourcoing, en face de l’hospice d’Havré du XVII° siècle ; au sujet du dîner de fiançailles chez eux de leur fils Charles avec Marie Tiberghien, quelques jours après celui donné par les parents Tiberghien en 1905: « C’est Monsieur Vaillant qui en a été chargé pour 11 francs par tête, sauf le vin, le bouillon du soir et les serveurs qui étaient à sa charge. Il fut parfaitement réussi et ne laissait certes rien à désirer à celui de Doublé. Le menu se composait du même nombre de plats que le dîner de Mme Tiberghien, c’était :
Truite Saumonée, sauce dieppoise
Filet de bœuf Henri IV
Volailles truffées
Chevreuil Newrod
Garniture parisienne
Faisans bardés
Cailles roties
Parfait de foie gras
Glaces Montmorency et Rosita
Fruits-Desserts (20 assorties)
Les desserts avaient été commandés chez Meert
à Lille. Ma vaisselle était suffisante pour nos 79 convives (nous compris). Je
n’ai dû louer que quelques carafes et bols à bouillon.
Pour le vin, Charles a sorti
3 bouteille de Madère
5 bouteilles de Château-Yquem
10 bouteilles de Château Margaux (Bordeaux)
9 bouteilles de Corton (Bourgogne)
37 bouteilles de Champagne (y compris pour la
soirée)
2 bouteille de Cognacq
2 bouteilles de Chartreuse (seulement pour
passer à table)
et une bouteille de Kirsch pour le fumoir.
Ma cuisinière a servi à 5 heures à tous les
gens de service :
Bouilli froid avec persillade
Rosbif avec haricots et frites
Fromage- 1 verre de vin rouge
ordinaire-café.
Sur la table, il y avait comme lumière 6
candélabres en cristal, dont deux prétés par François. C’était suffisant. Les
fleurs venaient d’un jardinier de la rue Nationale à Lille. J’ai eu 5 surtouts
magnifiques, du feuillage et des fleurs posées en serpentant sur toute
la salle, des fleurs pour garnir mes
vases, un bouquet pour la fiancée et deux bouquets pour les dames du
concert du sooir ; il y avait, en outre, des fleurs et du feuillage dans
les corbeilles de fruit. Le tout pour 130 f.
La petite chambre du balcon était réservée
aux artistes du concert qui avait été organisé pour 1000 F par Mr Stupy. Dès
leur arrivée, on leur offrait du café chaud puis, dans la soirée des tartines fourrées
( au pain spécial), de l’eau sucrée ou du champagne. Le concert a commencé vers
9 heures ½ et s’est terminé à 11 heures ½. Très bien.
Comme fille de service, j’avais 1) au
vestiaire, ma femme de chambre et deux autres filles, 2) pour relaver la
vaisselle, ma cuisinière et une relaveuse ; pour essuyer, les deux filles
du vestiaire.
Ma
femme de chambre avait pour mission
d’ouvrir la porte quand on sonnait et de se tenir en permanence
dans le
vestibule pour pour éteindre et ralllumer les bougies…
faire parvenir un peu de
fraicheur dans les appartements en ouvrant la lucarne du vestiaire, les
portes
du salon etc… et de se tenir à la disposition des Dames
qui auraient pu être
souffrantes. Dans la soirée, elle devait introduire et servir
les artistes, aider
les actrices à s’habiller, placer sur la scène les
objets nécessaires à la
comédie etc… etc… J’ai payé 6 F les
deux filles de service (Mélanie et Anna-Honoré)
venues dès le matin. L’autre fille (Félicie) venur
seulement à 1 heures ½ n’a
reçue que 5 F.
Comme pourboire à la cuisine, Mr Tiberghien a
donné simplement 10 F. quelques jours après, venant en visite, elle s’est
excusée et a rendu encore 10F. »
Les vacances d’été de Charles II et Eugénie Prouvost se
passaient à Cannes, au châlet des Syrphes, chemin du Petit
Juas .

Charles Prouvost-Masurel et sa fille Simone à Cannes vers 1906 ou
1908 Madame Charles
Prouvost- Masurel et sa fille Simone
Les familles du Nord ont toujours recherché
le soleil méditerranéen.
Charles III et Hélène Prouvost organisaient, dans les
années 1950, des réunions de famille Prouvost-Scrépel à Roubaix. La vie dans la
propriété de la Roseraye était intense : sept enfants, onze personnes pour
le service, les réunions de famille, les nombreuses activités
associatives : Charles Prouvost était en effet industriel, administrateur du Crédit immobilier, ancien Président de la
jeunesse catholique de Tourcoing, Président
de la Confrérie du Saint Sacrement, ancien président du conseil paroissial et
des familles nombreuses de Thumesnil, membre du conseil paroissial et des
œuvres de la paroisse Sainte Callixte, président d’honneur du Patro-club et de
la chorale, président d’honneur de la Musique du Centre et du club des Cinq.

Le maître d’hôtel, Léon, était connu pour ses gaffes: alors que les Prouvost recevaient, il demanda, suffisamment audible , à la maîtresse de maison:
« dois-je mettre le
très bon vin, le bon vin ou le vin de tous les jours ? » ;
Charles Prouvost répondit avec un grand éclat de rire partagé par ses
invités: « mais le meilleur vin, mon cher Léon ».
Réunions Prouvost-Scrépel à Roubaix, après-guerre organisées par Charles et Hélène Prouvost
Mme Amédée I Prouvost « ne mettait aucune prétention ni aucune recherche dans ses soins de maitresse de maison, cependant rien ne manquait jamais à l’ordonnance des repas ni à la bonne tenue des appartements ; elle était elle-même l’enseignement vivant : savoir se plier aux circonstances et de se contenter de ce que vous offre le présent. Avec une inaltérable aménité elle était à même de supporter les mécomptes, les contretemps, les déconvenues sans laisser paraitre en aucun cas le plus léger mouvement d'humeur. Sa maison était toujours en ordre, ses serviteurs lui étaient attachés, pas d'observations encombrantes et humiliantes, mais, le mot d'encouragement nécessaire. A Roubaix, les œuvres de charité prenaient grande place dans la journée de Mme Prouvost qui fut pendant de nombreuses années présidente de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Que dire de sa grande charité pour soulager toutes les misères? Les visites chez les pauvres étaient quotidiennes ; elle se faisait une joie de donner chaque jour un diner a une de ces familles nécessiteuses dont un membre venait chercher la part à midi et démon était accoutume à voir sous le porche attenant à la cuisine des femmes ou des enfants assis sur un banc attendant l’ audience de leur bien fautrice qui, de l’ air le plus calme et le plus souriant, les recevait toujours avec bonté, les encourageait, les exhortant et leur glissant la piécette blanche qui était la terminaison heureuse de l’ entretien. Cette femme de bien avait au coeur une tendresse douce et une sollicitude toujours attendrie pour ses enfants. »
Au château d’Estaimbourg : « La vie à Estaimbourg était très monotone, point n'est besoin de le dissimuler, et quoique ces souvenirs n'aient le droit d’évoquer aucune satire, il est avéré qu'on cherchait l’ ombre du parc pour parer aux inconvénients du soleil, puis le soleil pour se réchauffer de la fraicheur de l’ ombre, qu'on y discutait avec un esprit charitable et plein de douceur de I’ opportunité d'un salon au nord ou au midi, qu'on y cherchait avec une inaltérable patience le bien -être des marmots chéris qu'il fallait tenir un peu éloignés et qu'on emmenait de temps en temps pour ne pas trop fatiguer les oreilles maternelles. On parlait aussi pendant les repas des recettes culinaires les plus agréables au palais. Au moins la médisance était éloignée de ces conversations. Le soir enfin, on s'endormait en remerciant la Bonne Providence de tant de joies goutées dans une paix si profonde. On ne se plaignait cependant pas de la monotone des jours. L'influence très bien faisant de Mme Prouvost se faisait sentir très douce à tous, grands et petits. Avec l’âge, elle était devenue encore plus indulgente, plus peleuse si possible, toujours souriante de ce bon sourire qui désarmait les moins bien intentionnés. On la sentait recueille dans une profonde ferveur, et qui aurait ose exprimer une plainte, manifester un mécontentement? Elle se faisait toute a tous et ne se réservait que de longues stations à l’église si proche du château que la grille du parc séparait seulement. L'église était, grâce à ses soins, toujours bien tenue et ornée de fleurs. »

Et voici un tableau d'intérieur qui est fait pour charmer les
regards d’Amédée III Prouvost eut une âme
charmante et une vie harmonieuse. Son enfance fut nourrie de tendresse. 1l
avait sept sœurs qui l'appelaient « le petit roi ». II fut élevé par des
prêtres (et cela se devine dans ses vers, a certaines inflexions). Il voyagea.
Il vit l'Orient. Cet homme du Nord était
amoureux de la lumière et du soleil. Il fit un mariage d'amour, à la fois
romanesque et raisonnable. Il eut deux enfants. II travailla gaiement dans
l'usine familiale ; et, comme c'était une âme ouverte à tout, il sut
comprendre la phobie de la Cité noire et la sombre beauté des machines ... II
aimait la musique, et les arts, et toutes les formes de la beauté. »
« On menait une vie très
simple dans la bonne petite ville de Roubaix dont les habitants, voués par
vocation et tradition à la vie de famille et au travail se contentaient de ces
habitudes toutes patriarcales. Les maisons avaient de grands jardins plantés
d'arbres fruitiers, aux allées bordées de buis où fleurissaient au printemps pervenches
et muguets, tulipes de Hollande, œillets flamands et roses de Chine. Dans le
fond se trouvait la pelouse où s’étendaient à certains jours le beau linge de
fine toile de Cambrai et de Flandre dont la lessive était un des grands soucis
des bonnes ménagères du temps. Ces richesses se transmettaient de génération en
génération, contenues dans de grandes armoires de chêne massif aux panneaux
sculptés… Au foyer, un jour ne se passait pas pour ainsi dire sans qu’on apprit
par cœur une ou deux maximes des livres saints, et ces éternelles lois sociales
étaient la matière d’un enseignement domestique positif et solide. On
travaillait beaucoup, on lisait peu, et c’était surtout dans les livres saints
que l’on puisait les vérités maîtresses. Dans cet intérieur qui a des aspects
de sanctuaire se dressent des chefs de famille auxquels il ne manque que
l’éloignement de la perspective pour avoir la majesté des patriarches. Ce sont
les derniers portraits de la galerie. Elle se termine par Amédée I°.
" "Amédée Prouvost" par C. Lecigne, éditions Bernard
Grasset, 1911
Vous pouvez vous
en rendre compte en feuilletant l'album de famille, ma mère était une jeune
femme d'une resplendissante beauté, mon père avait très grande allure; tous
deux attiraient l'admiration et l'amitié par leur bienveillance et leurs gouts
raffinés. Les réceptions, 50 Boulevard de Paris étaient brillantes, la table
réputée.
Mes parents
consacraient dans leurs voyages à Paris une large place au théâtre et
spécialement à la Comédie Française. L'un et l'autre très lettrés, ils étaient
spécialement assidus aux représentations des classiques. Connaissant à fond le
répertoire, ils n'allaient pas au Français entendre le Cid Phèdre ou
Bérénice, mais applaudir les acteurs qui en étaient les grands interprètes. A
cette époque Rachel avait termine sa triomphale carrière, mais Sarah Bernhardt,
Bartet, Mounet-Sully, les Coquelin étaient au zénith de leur gloire éphémère.
Le théâtre du boulevard avait aussi de très belles troupes : les noms les plus
appréciés étaient ceux de Réjane et Jeanne Granier, Brasseur, Baron, Guy,
Lavallière aux Variétés.
Le 50, Boulevard
de Paris comportait au dernier étage un immense grenier inutilisé. Dans leur
passion du Théâtre, mes parents eurent l'idée d'y construire une petite scène
et d'y jouer la comédie entre amateurs. Naquit donc vers 1892 ce qu'on nomma
par la suite « le Théâtre Albert ».
Pour
l'inauguration du grenier-théâtre, des acteurs de Paris furent engagés,
notamment Prince qui devait acquérir une grande notoriété de fantaisiste, les
sœurs Mante, danseuses étoiles de l'Opéra. Les décors étaient charmants, la
soirée fut sensationnelle.
A partir de
cette date, chaque année mes parents s'ingéniaient à découvrir une bonne pièce
nouvelle en un acte et s'attaquaient en trois actes aux pièces à succès du
moment, le théâtre de Scribe, Augier ou Labiche. Les amateurs de notre région y
furent étonnants de brio. Parmi eux, outre mes parents qui jouaient chaque
année, les plus fêtés furent la belle Madame Félix Ternynck et son mari, Albert
Masurel, René Wibaux. Mes parents prirent tellement au sérieux leur rôle
d'acteurs improvises qu'ils demandèrent des conseils a deux célèbres
Sociétaires de la Comédie Française, Le Bargy et Georges Berr, afin de
perfectionner leur technique forcement sommaire.
Plus tard, entre
1900 et 1910, de nouveaux jeunes premiers accédèrent aux planches du théâtre
Albert.
Trois de mes
cousins germains y furent particulièrement appréciés : Amédée Prouvost, Léon
Wibaux et Charles Droulers. Ils y jouèrent la comédie, puis en association
écrivirent chaque année une petite revue, dans laquelle ils montraient autant
de verve que d'esprit: Ces revues étaient le clou de la soirée « théâtre
Albert» du 1" janvier. L'un après l'autre tous les cousins et toutes les
cousines de tous âges (y compris mon frère, mes sœurs, ma femme et moi-même)
ont tenu un rôle dans ces revues ou joue la comédie. Aucun de nous n'a perdu le
souvenir des joyeuses répétitions et des émotions - quelquefois du trac - de la
générale et de la grande première. Ces soirées de l’An nouveau réunissaient
dans la joie parents et enfants.
Albert-Eugène
Prouvost (II): Comme celle de tous
les jeunes ménages de tous les temps, -notre existence de 1906 à 1914 fut intensément
active : diners, soirées dansantes, voyages fréquents à Paris, puis en aout
longues vacances. Rita animait par son entrain toutes ces réceptions et une
semaine sur deux, nous passions un large weekend dans la capitale. L'élégance
de la tenue était à cette époque le souci majeur des Messieurs comme des Dames.
Pour vous donner une précision, il était de règle, a partir de onze heures du
matin, de porter sur les Boulevards le chapeau haut de forme et des gants, au
moins tenus a la main. Les snobs y ajoutaient un monocle et une canne. Les
grands rendez-vous de la société « chic» étaient en fin de matinée l'Avenue
du Bois et surtout la partie de l'Avenue de Longchamp dénommée «
Avenue des Acacias » ou par antiphrase « les sentiers de la vertu ». Que de cavaliers
et d’amazones! Le soir dans les restaurants ou les salles de spectacle, l'habit
et le chapeau claque étaient de rigueur; dans les petits théâtres le smoking
était toléré. Les dames étaient en robes largement décolletées: leurs chapeaux
de dimensions extravagantes étaient couverts des plumes des oiseaux les plus
rares, notamment des aigrettes. L'hiver c'était un déploiement de fourrures,
d'étoles de zibeline, d'hermine ou de chinchilla.

Comme mes
parents j'aimais le théâtre: Rita aussi: nous allions souvent voir les auteurs
contemporains et redécouvrir les classiques. A chaque week-end parisien nous
assistions a trois ou quatre représentations.
Entre 1906 et 1914,
nous n'avons jamais manqué la pièce annuelle d'Henry Bataille, Maurice Donnay,
Porto-Riche, Henry Bernstein, Alfred Capus, Flers et Caillavet, Sacha Guitry,
les grands chefs de file, qui ont connu des succès considérables et dont aucune
production ne laissait un spectateur indifférent. Le public était alors plus
restreint, mais plus cultive que celui de nos jours. Ses réactions étaient
vives, passant d'un enthousiasme sans retenue a une sévérité extrême devant un
texte ou une interprétation de valeur discutable. Dans les premières
représentations, d'une pièce à succès, les entractes - actuellement moroses -
étaient brillants : on y retrouvait de nombreux amis et des personnalités
marquantes de la politique, du turf, du monde ... ou du demi-monde.

Un auteur
dramatique affaibli par la maladie, qui ne produisait presque plus, était
auréolé d'une gloire sans seconde : Edmond Rostand. Le triomphe en 1897
de « Cyrano de Bergerac " demeure l'un des grands souvenirs de
ma jeunesse. Un acteur de génie, Coquelin, créa le rôle. A la veille de la
première, l’auteur et ses interprètes se demandaient comment le public
accueillerait ces cinq actes en vers évoquant le XVIIe siècle. Ce fut du
délire. Notre pays portait encore moralement le poids de l'humiliation de 1870:
ce coup de cymbales, le panache du héros et aussi le cote sentimental cher au
Français, provoquèrent un choc de fierté nationale. Dans la même veine, en
1900, Edmond Rostand nous donna « l'Aiglon », avec la grande Sarah-Bernhardt,
dans le rôle du Duc de Reichstadt.
En 1910 fut créé
« Chantecler ». Edmond Rostand avait confie à Coquelin le
rôle du coq. Celui-ci mourut subitement et « Chantecler » fut joué par Lucien
Guitry. La pièce, riche en vers magnifiques, fut discutée sur le plan scénique.
Ce demi -échec fut très sensible à l'auteur. On organisa alors, en son honneur,
sous le couvert d'une fête de charité, une matinée au théâtre Sarah Bernhardt
ou des extraits de son œuvre théâtrale devaient être interprétés par les meilleurs
artistes de Paris. Rita et moi, étions au grand rendez-vous de ses admirateurs.
En apothéose finale, on obtint qu'Edmond Rostand monte sur le plateau et dise
plusieurs poèmes dont l'hymne au soleil de « Chantecler ». Avant qu'il put
commencer, la salle debout l'acclama pendant plus de dix minutes. Cet hommage
d'une sincérité bouleversante est demeure l'une de nos grandes émotions de
théâtre. »
« Souvenirs
de famille » Par Albert-Eugène Prouvost, 1960


A l’exposition de Roubaix de 1911
Metropolis de Fritz Lang , 1927